Portrait « Les Bottes d’Anémone »

Les Bottes d’Anémone, créée par Tiphaine Turluche, le 1er août 2020, est une entreprise de fleurs. Tiphaine crée des bouquets avec des fleurs fraiches et locales chaque semaine. Son rayon d’action : le Golfe du Morbihan, et une fois par mois Lorient. Tiphaine a choisi le mot « magie » pour définir son rapport à la nature.

Avant de créer ton entreprise, quel était ton lien avec la nature ?

J’ai toujours adoré la voile, et la mer, et être dans l’eau. J’étais toujours en lien avec l’océan, la mer, les lacs et les plans d’eau. Je n’étais pas spécialement attirée par la forêt, ou en tout cas, je n’y prêtais pas particulièrement attention. Je n’étais pas, non plus, reliée aux végétaux, à la verdure. C’est lorsque j’ai eu mon premier petit jardin, que j’ai commencé à faire pousser des végétaux, que le déclic s’est opéré. Je suis toujours attirée par l’eau, mais depuis, je regarde aussi la terre. Par exemple, auparavant quand je faisais une balade en bord de mer, je regardais tout le temps du côté bleu, et l’année dernière, je regardais plutôt uniquement du côté vert, et maintenant, je regarde des deux côtés, et je m’émerveille tout le temps.

Dans le passé, as-tu déjà mené des actions de protection de la nature, des projets, ou as-tu mené des actions de défense de l’environnement ?

Je n’ai jamais été militante, j’ai participé à des nettoyages de plage très souvent. A part dans mes actions quotidiennes, mais je n’ai jamais cherché à convaincre les autres. A la maison, j’avais commencé, domaine par domaine, à réfléchir aux déchets, à tendre vers le zéro déchet, et à éliminer le plastique. Avant, pour ma vie professionnelle, je faisais des tours du monde, tous les ans : avec de nombreux vols d’avion, beaucoup de nuitées à l’hôtel, des objets jetables en permanence, et je ne me rendais pas vraiment compte de l’impact global de ce mode de vie. C’est davantage, en ralentissant, en ayant un peu plus de temps à la maison, que je me suis posée des questions sur les déchets : notre sac poubelle était rempli en quelques secondes. On a commencé par installer un compost dans le jardin. Du jour au lendemain, on a divisé par deux nos poubelles. On s’est rendu compte que c’était très efficace. On s’est servi ensuite du compost sur le potager. De là, on s’est demandé ce que nous pouvions faire d’autre. Nous avons lu le livre « La Famille Zéro Déchet », qui aide à déculpabiliser un peu. Tu n’es pas obligé d’être parfait toutes les semaines, mais tu peux essayer un peu chaque jour. Ça s’est fait petit à petit. Le fait de manger des produits locaux, c’était déjà mis en place à la maison, on aime bien « bien manger », nous ne faisions déjà plus nos courses au supermarché. On y allait quand même, parfois pour du papier toilette. Et puis, là, on se pose la question, où est ce qu’on peut acheter du papier toilette non emballé dans du plastique. On n’y arrive pas tout le temps, parce que parfois, il y a des produits, dont on a besoin d’urgence. Nos actions ont vraiment commencé avec le compost, et de là, on a réfléchi, à tout ce qu’on mettait à la poubelle, et à chaque fois, on réfléchissait à comment faire pour éviter le déchet jeté, ou comment les réutiliser pour ne pas les jeter.

Si oui, quel est le déclic qui t’a donnée envie d’agir à l’époque ?

J’étais plus jeune. J’étais monitrice de voile, l’été, aux Glénans. J’étais bénévole, et je passais l’été là-bas. J’ai fait ce job d’été pendant 10 ou 12 ans. C’est là-bas, que j’ai rencontré Robin. Je pense que c’est sur les îles, que j’ai eu cette prise de conscience pour l’environnement. Les îles Glénan, c’est un archipel au sud de Concarneau. C’est un archipel avec plein d’iles, dont quatre sont utilisées par l’école de voile éponyme. Tu peux aller là-bas pour une semaine ou quinze jours, en tant que stagiaire. Mais en tant que moniteur, tu peux y rester tout l’été. Et on avait neuf types de poubelles. La poubelle verre, la poubelle mer (celle où tout ce qu’on ne mangeait pas partait à la mer, sauf les peaux d’agrumes, et tout ce qui flottait, on ne le mettait pas dans cette poubelle). La poubelle terre, la poubelle piles, la poubelle briques de lait et de jus de fruits, la poubelle boites de conserves… Et le but du jeu, c’était de se souvenir chaque semaine, de toutes les poubelles, et de faire le pitch en tant que chef d’île pour expliquer les différents contenants et les déchets qui allaient dans chaque poubelle. C’est ancré depuis que j’ai eu quinze ans, avec mon premier stage, puis ensuite je suis devenue monitrice, cheffe d’île. J’ai aussi été liaison, le bateau qui fait le ravitaillement avec le continent. Tu te rends compte de la quantité de matériel que tu amènes à chaque stage, et la quantité de poubelles que tu ramènes sur le continent. C’était hyper concret. Sur une des îles, nous sommes 300, voire 350 par semaine, et les trois autres, cela doit être 100 stagiaires par île.

Plus les années passaient et plus je m’impliquais en tant que bénévole. En février, chaque année, on allait ouvrir les îles. On préparait, on remettait les bateaux en état de naviguer, on ouvrait les bâtiments, on enlevait les troncs d’arbres, on tondait. A chaque fin d’hiver après les tempêtes, il y avait des containers, qui étaient tombés à l’eau, et déversaient des déchets sur les îles. Une fois, nous sommes arrivés après une tempête, et il y avait des pastèques, des ananas, et des seringues, par centaines de milliers sur toute la côte sud Bretagne. Tu arrives sur l’île, et tu viens te balader, et j’étais encore à mi-chemin sur le chemin qui traverse la dune pour arriver à la plage, et on avait déjà rempli chacun un seau de seringues. Tout ce que j’ai vécu sur les îles, cela m’a sûrement ouvert les yeux sur l’environnement. Mais une fois, dans mon travail, dans les tours du monde, je me sentais moins affectée. C’est vraiment en revenant à la maison, que j’ai réfléchi aux poubelles, et aux déchets.

Dans ton entreprise comment agis-tu pour protéger la nature ? Quelles sont les actions que tu as mises en place ?

Le déclic par rapport à mon entreprise, j’ai décidé de me lancer dans les fleurs. Et en commençant à faire des recherches, je me suis rendue compte qu’elles étaient importées, qu’elles étaient remplies de pesticides, qu’il y avait du plastique partout pour la logistique. Cela m’a un peu démotivée. Et puis, un jour, j’étais dans une salle d’attente d’un médecin, il y avait un Paris Match, avec une double page sur le collectif de la Fleur Française. Au sein du collectif, ils expliquaient qu’ils valorisaient les fleurs produites en France, qu’ils avaient des méthodes de production raisonnée. Cet article m’a permis de me dire, c’est peut-être possible. J’ai décidé d’aller les rencontrer, pour voir si je pouvais construire quelque chose avec eux. A partir de là, je me suis posée plein de questions : comment faire pour s’approvisionner qu’avec des fleurs françaises, et cultivées de façon raisonnées. Et non pas des fleurs cultivées sous serre, éclairées artificiellement comme aux Pays-Bas.

J’ai essayé de trouver des petits producteurs, avec des petites cultures. L’approvisionnement est plus fluctuant. C’est pour ça, que je parle de « bouquets de la semaine » en fonction des fleurs que je reçois, et non pas de « bouquets de tulipes » ou autre. Cette semaine par exemple, j’ai eu des tulipes oranges, et pas des tulipes roses. J’aime bien cette magie là, de ne pas savoir ce que je vais recevoir. Travailler avec des personnes qui respectent l’environnement, qui respectent leurs productions. Et après le plastique, c’est aussi un grand sujet. De mon côté, cela a été très facile d’enlever l’emballage plastique autour des bouquets, et de proposer du papier kraft. De proposer quand il y a du papier de soie, si le bouquet est offert, que le papier soit certifié et issu des forêts gérées durablement, avec de l’encre végétale, du papier ensemencé, avec de la petite ficelle. Pour moi, ce fut facile d’agir entre moi et le consommateur final. En revanche, c’était facile, entre mi-mars et mi-novembre, en saison, j’ai pu m’approvisionner auprès de producteurs bretons. Eux globalement, je les vois, je prends les fleurs de leurs seaux, je les mets dans mon seau, et il n’y a pas de plastique entre nous. Il y a parfois des élastiques, et du coup, je fais des sacs d’élastiques récupérés à la maison, et je leur donne tous les mois. Il y avait aucun emballage.

Je suis arrivée à la fin de la saison, mi novembre, à devoir m’approvisionner dans le Var, car ils ont un climat qui leur permet de poursuivre la production de fleurs. Et je recevais des cartons, et les fleurs étaient emballées, chaque botte de 10 fleurs était emballée dans une housse de plastique. J’ai eu de la chance de tomber sur un seul producteur qui regroupe plusieurs producteurs autour de lui, et qui m’envoie ses fleurs. Il a bien accroché avec ma démarche, et à partir de janvier, il m’a envoyé une fois, une botte de fleurs emballée dans un papier. Il ne me l’a pas dit à la commande. J’ai ouvert le carton, et j’ai vu que les fleurs étaient dans du papier, elles avaient bien voyagé, alors je l’ai appelé et je l’ai remercié. Les fleurs doivent être suffisamment aérées, elles ne doivent pas recevoir une goutte d’eau, sinon elles brunissent, alors le transport est une opération hyper sensible.  Je lui ai dit qu’elles avaient fait bon voyage. Et depuis, dès que je reçois un colis de ce producteur, il emballe les bottes dans du papier. Et pour les élastiques, car pour les producteurs, les élastiques, c’est un gain de temps pour créer les bottes de fleurs, il y en a qui les remplacent par du rafia, mais ceux qui font des grands volumes, ils n’y arrivent pas encore. Il faudrait trouver quelqu’un qui crée des élastiques durables.

Au niveau de ma distribution, j’ai fait le choix de ne pas avoir de boutique. Pourquoi ? Pour ne pas avoir de stocks, et gaspiller les invendus. Déjà quand tu as une boutique, pour que les gens aient envie d’entrer dedans, il faut qu’elle soit jolie. Tu as des fleurs en vitrine, qui sont perdues. Tu achètes des fleurs, pour qu’elles ne servent pas à embellir la maison de quelqu’un. Et pour moi, ce n’est pas logique. Il y a des producteurs, qui ne coupent pas les fleurs, pour que les abeilles puissent continuer à les butiner. On les coupe, pour qu’elles restent plus longtemps fraiches, mais elles ne peuvent plus être butinées. Si tu coupes les fleurs, pour qu’elles ne servent pas, c’est dommage. C’est pour cela que je n’ai pas créé de boutique, et avoir des bouquets frais.

Parfois, j’ai des demandes pour des bouquets le dimanche ou le lundi, mais je réponds non désormais. Au début je n’osais pas dire non, par peur de contrarier les clients. Mais aujourd’hui, je leur explique pourquoi. Et souvent, ils me disent, ce n’est pas grave, on attendra mercredi, on n’est pas à trois jours près. Il suffit parfois d’expliquer, de faire comprendre que les demandes dans l’immédiat sont parfois mauvaises pour tout le monde, pour la planète. Et qu’il suffit parfois d’attendre un peu, d’être patient, pour avoir un beau produit de qualité et respectueux de la planète. 

Qu’est ce qui t’a décidée à mettre en place ces actions ?

Je ne me serai pas lancée sinon. L’idée de la reconversion, c’était pour moi à titre personnel, d’avoir plus de temps à la maison, de prendre le temps de connaître mes voisins, de découvrir la vie autour de chez moi, et d’ajouter de la créativité dans ma vie aussi. Je travaillais avant, beaucoup sur excel, au bureau. Et ça aurait pu être les fleurs, comme ça aurait pu devenir autre chose, si je n’avais pas trouvé ce que je voulais dans les fleurs. Je pense que je me serais pas lancée si je n’avais trouvé ces producteurs, ce mouvement de la fleur française.

En agissant ainsi dans ton quotidien d’entreprise, cela t’a-t-il permis de prendre davantage conscience de notre lien avec la nature ?

Oui, complètement. Je m’émerveille de tout, même parfois d’un légume qui a une forme de travers. J’adore. Ça donne envie de protéger la nature, de regarder autour de soi. J’ai les yeux qui se sont grands ouverts depuis. Quand je me balade, c’est Noël ou la chasse aux œufs de Pâques. Le lien, il est même direct. Le fait d’être autant engagée avec les Bottes d’Anémone me fait faire encore plus attention, et encore plus de progrès à titre personnel, à la maison. On va aller s’approvisionner ici, parce qu’il produit ainsi, ou elle fabrique de telle manière. Il y a des découvertes tous les jours. Dans ton fonctionnement au quotidien, l’impact sur la nature, il est direct. Et j’habite, dans une rue, qui descend sur le port. Quand il pleut, tout ce qu’il y a dans mon jardin, dans le jardin des voisins, descend directement dans l’eau du port. C’est une image que j’ai en permanence. Quand tu habites en ville, tu ne te rends pas vraiment compte. Ici, tout va dans le port, que ce soit les pesticides des jardins, les mégots lors des fêtes du village. Quand ils ne viennent pas assez vite ramasser les mégots après une fête de village. Le lien est évident. C’est presque immédiat. Ce que tu fais mal, ou l’effort que tu n’as pas fait, tu vois la conséquence directement. Au Bono, un jour, il y a eu une fête sur le port. Nous venions de nous installer. Et on adore quand il y a des fêtes sur le port, en été, il y en a très souvent. Et ils ont oublié d’installer des cendriers et des poubelles. Cela devait être un vendredi soir, le samedi et le dimanche personne n’est venu pour ramasser les mégots et les déchets. Le lundi, il a plu averse, et quand ils sont venus nettoyer, c’était trop tard, les mégots étaient tous descendus dans le port. Nous, ça nous a choqué. Je leur avais écrit à l’époque. Aujourd’hui, je suis dans la commission maritime au Bono, donc je leur dis toutes les petites choses qui comptent.

Ces nouveaux comportements penses-tu que cela influence ton entourage de l’entreprise ?

Oui, je pense. L’engagement dans le zéro déchet, ou le moindre déchet, il a eu un impact dès les premiers mois sur les producteurs de fleurs. Comme le rafia, pour remplacer les élastiques, le papier pour remplacer le plastique pour les livraisons. Et après, je pense aussi, je vois des effets dans mes relations avec les fournisseurs. Par exemple, une productrice auprès de laquelle je n’arrivais pas à avoir des fleurs, et qui produit plein de fleurs, mais elle les vend en direct sur les marchés. Elle écoulait tout son stock via les marchés, car elle est implantée depuis longtemps. Elle ne prenait pas le temps de répondre à mes demandes, et le fait de la solliciter l’hiver, une période plus creuse pour elle, elle a accepté de me livrer des tulipes toutes les semaines.

Et elle est contente de m’aider. Peut-être qu’elle gagne moins d’argent en travaillant avec moi, plutôt qu’en vendant en direct aux particuliers. Mais elle veut m’encourager, et soutenir ma démarche. Il y a donc des changements pour elle, aussi. C’est beau de voir ces changements en quelques mois.

Dans les clients, il y a beaucoup de gens qui prennent conscience de l’impact environnemental des fleurs, à mon contact. Certains me disent, je ne savais pas, je ne vais plus acheter de fleurs, ou seulement avec vous. Et à côté, ce que je trouve extraordinaire, ce sont les personnes qui me disent, je n’achetais plus de fleurs, par conviction, et de voir que votre démarche existe, cela me redonne envie d’en acheter. Ces petits mots me font chaud au cœur. Cela me donne envie de poursuivre, cela me redonne confiance dans le fait qu’il va y avoir des changements dans cette filière. Il n’y a pas encore grand monde qui connaît ces impacts. Certains peuvent dire aussi, que cela ne sert à rien de faire pousser des fleurs, pour les faire mourir dans un vase, qu’il est préférable d’acheter des plantes. Et je peux comprendre. Je ne sais pas quoi leur répondre. C’est une conviction comme une autre. Je pense que les fleurs coupées sont produites pour les fleuristes et être vendues aux particuliers. Et je pense aussi, que d’avoir des productions de fleurs, c’est complémentaire des maraichers, de l’apiculture. Tout est complémentaire. Acheter des fleurs, c’est un luxe. Puisque nous n’en avons pas besoin pour nous nourrir. Mais c’est de la joie, du lien social… Il y a dix jours, j’étais chez des producteurs, qui sont en train de reprendre une exploitation qu’une femme arrête, au croisement des départements 22, 56 et 29. Ils vont avoir des pivoines et du feuillage, et au fond, il y a un apiculteur qui a installé des ruches.  Ils travaillent ensemble.

Côté entreprises, la semaine dernière, la Compagnie du Golfe m’a commandée un bouquet pour une salariée. J’échangeais avec la femme qui avait pris la commande et je lui ai dit que je passais devant l’entreprise tous les jeudis et vendredis, et que je pouvais leur apporter des bouquets quand ils le souhaitaient. Elle m’a répondu que pour eux c’était une évidence de soutenir une personne engagée, comme moi, dans le développement durable et que je pouvais compter sur eux pour les prochaines commandes. Je dépose aussi les bouquets toutes les semaines dans une boutique, et elle me dit, c’est fou, la clientèle est assez âgée, et les clientes lui demandent d’où viennent les fleurs, et lui disent qu’elles n’ont pas vu de fleurs comme cela depuis 50 ans, et aussi belles. Cela leur permet de créer du lien avec leurs clientes, dans la salle d’attente. Cela fait un sujet sur lequel l’entreprise peut parler en expliquant qu’elle soutient une démarche locale.

Quelles sont tes sources d’inspiration pour agir autrement ? Pour produire autrement ?

Je n’ai pas envie d’abîmer la nature, car c’est mon terrain de jeux direct. Je me réveille, je regarde au bout du port, le week-end, je pars faire du bateau, le soir, en semaine, on nage dans le Golfe. On va surfer. Je n’ai pas envie d’abimer les océans. Je fais le lien entre la production de fleurs, qui utilise beaucoup de pesticides, et le fait que si je mets un produit dans mon jardin, cela court directement dans le port. Cela peut paraitre plus lointain, mais tout est lié. Je pense que c’est ma seule source de motivation. Savoir que j’ai une voix à porter pour la planète. Depuis Noël, j’ai envie de montrer que de vendre des fleurs françaises, c’est possible. Il y a plein de gens qui souhaitent se reconvertir, et de nombreuses personnes souhaitent travailler dans la filière des fleurs. Ces personnes font des formations classiques, qui n’ont pas encore bien intégré la démarche de la fleur française, et n’expliquent pas encore très bien l’impact environnemental des filières classiques. Et du coup, de porter la voix de la fleur française, de montrer que c’est possible de s’approvisionner en local, et de faire autrement, de les inspirer, c’est une chose qui me motive au quotidien. D’échanger avec des personnes sur ce sujet, qui trouvent ma démarche inspirante, et qui sont ravies de savoir que c’est possible de faire autrement, cela m’arrive régulièrement. C’est pour cela que je suis aussi transparente dans ma communication. Plus tu montres que c’est possible, plus tu agrandis ton impact : montrer que c’est possible de s’approvisionner en fleurs françaises toute l’année, et d’en vivre et de proposer des beaux bouquets. Il a été dit que si tous les fleuristes en France ne s’approvisionnaient qu’en fleurs françaises, on n’aurait pas assez de fleurs pour répondre à la demande. Les producteurs de fleurs ont été divisé par dix depuis plusieurs années. Il n’en reste plus que 343. Il y en avait 4000 dans les années 70. Cela a diminué du fait de la concurrence des pays étrangers, et du fait que le métier de producteur de fleurs est très difficile, et très ingrat. Ceux qui produisent en Bretagne, il suffit qu’il y ait une tempête, de la grêle, une tempête de vent, qui retourne une serre… Et si ta rose, elle n’est pas parfaite, tu ne peux pas la vendre.  Dans la fleur, il serait peut-être  possible de créer d’autres circuits pour les valoriser. Tu peux faire sécher les fleurs, ça ne se voit pas si la fleur n’est pas parfaite. Il y a de plus en plus d’usages cosmétiques. Il y a des débouchés, mais qui ne sont pas encore beaucoup utilisés par les producteurs classiques.

Quelles sont les personnes ou les outils qui t’ont accompagnée ou qui t’accompagnent dans ces nouvelles pratiques, dans ces changements ?

Le collectif de la fleur française, qui est une association nationale. Les membres, ce sont des producteurs, des grossistes et des fleuristes. Il y en a partout en France. Mi février, il y avait une réunion Grand Ouest. On a fait une grande réunion, et on a tous réfléchi ensemble, à la question de la logistique et de l’approvisionnement. Il y a tellement de producteurs en Bretagne, mais il n’y a pas de circuit de distribution, pas de logistique. Il n’y a pas de camion qui relie tous les producteurs et livre à tous les fleuristes. Il nous faudrait de la stabilité, pour permettre aux producteurs de se développer, et aux fleuristes de s’approvisionner chez eux. Sinon les fleuristes continueront à utiliser les autres circuits. Il y a vraiment besoin de ce maillon transport, et nous espérons réussir à le faire avec le collectif. Ce collectif nous permet de réfléchir et de devenir acteurs de nos solutions.

Les producteurs, j’échange aussi beaucoup avec eux. Ils sont tout le temps débordés. C’est un métier difficile. On échange mieux hors saison, ils ont davantage le temps pour me rencontrer et échanger sur nos métiers respectifs. Et puis j’adore connaître la petite histoire des gens, alors je pourrais rester des heures avec eux. Nathalie, qui produit les tulipes, j’adore son histoire. En début d’année, j’ai pu la rencontrer et échanger beaucoup plus avec elle. 

Je ne suis pas sûre que j’ai d’autres outils pour m’accompagner, tu es un peu tout seul dans la nature quand tu veux nager à contre courant. Heureusement qu’il y a le collectif de la fleur française, j’espère que cela restera collaboratif. Avec d’autres fleuristes engagés dans le Morbihan, aussi, j’ai des échanges. J’ai rencontré Koupaïa Atelier Végétal, qui crée avec des fleurs séchées. Elle a trouvé un producteur d’eucalyptus dans le Morbihan, et elle m’a proposé d’aller le rencontrer ensemble. Et inversement, quand j’ai trouvé une productrice de fleurs séchées, je lui ai indiqué le nom du producteur, qui est dans les Pyrénées, et on se partage les tuyaux entre nous. C’est important de se soutenir les uns les autres. Il y a aussi une fleuriste de Guidel, qui s’installe actuellement et avec qui on échange beaucoup. Comme pour les fleurs du Var, c’est coûteux pour moi toute seule, de les faire venir du sud de la France. Alors, on a décidé de partager les coûts de transport, et de regrouper nos commandes pour réduire les frais de transport.

Que t’apportent ces actions pour la nature au quotidien ?

L’un n’irait pas sans l’autre. Je pense que les actions que je mène, c’est le minimum, et je me dis que je ne dois pas me reposer sur mes lauriers, et chercher de nouvelles solutions. Le kraft, c’est bien, mais j’aimerais trouver quelque chose de mieux, et les élastiques, je suis persuadée qu’il existe quelqu’un quelque part qui a créé, ou qui étudie, un produit sans caoutchouc pour le remplacer. J’ai envie de trouver d’autres solutions, d’autres idées, et de continuer à les partager autour de moi, pour que cela bouge. Parfois, je me rends compte que les gens m’associent individuellement aux Bottes d’Anémone. J’ai vu des personnes, complexer face à moi,  de ne pas faire assez pour l’environnement. Parce que j’en parle beaucoup, dans le cadre de mon entreprise, et souvent je temporise, en disant que je ne suis pas parfaite non plus. J’ai un IPhone, je regarde des séries sur NetFlix, et je pense que ce n’est pas très bon pour la Planète. Je mange de la viande. Les gens associent ma recherche de zéro impact avec mon entreprise, au fait que je puisse juger leurs comportements ou leurs actions, quand je les vois. Alors que pas du tout, je suis juste contente de les voir. L’important, c’est d’essayer et d’y aller petit à petit. Mon engagement m’a apporté plein de choses, dans ma consommation quotidienne, la nourriture que j’achète, ou les objets, je ne pense plus à acheter la première chose disponible. Je prends du temps, et je cherche des entreprises engagées pour ma consommation personnelle. Un exemple, c’est ma coque d’Iphone, avant j’aurais acheté n’importe laquelle, parce qu’il fallait que je protège mon téléphone, et en fait, je suis tombée sur une entreprise qui crée des coques de téléphone en coquillages recyclés. Pour toutes ces choses, je prends le temps de chercher et je m’y intéresse. Etre moins dans l’urgence, prendre le temps de chercher ses cadeaux… Prendre le temps de faire des achats qui ont du sens. Mais parfois, je bloque, je n’arrive pas à trouver un cadeau qui a du sens, et cela m’arrive de ne pas réussir à trouver « le » cadeau qu’il faut. Ma mère habite en Guyane, par exemple, et je voudrais pouvoir lui offrir des fleurs qui viennent de Guyane, et je ne trouve pas, tous les fleuristes font venir les fleurs de métropole. Une fois, j’ai offert un bouquet de fleurs à ma mère, elles ont pris l’avion, elles ont été mises en bouquet par un fleuriste à Paris, et elles ont été livrées un jour plus tard, parce qu’elles étaient gardées à la douane. C’est dingue de lui envoyer des fleurs de métropole. Alors que là bas, ils ont des fleurs magnifiques. Cela change le regard sur l’urgence de chaque consommation. Cela change dans ma famille, beaucoup de choses. Tout le monde se sent touché. De me voir mettre autant d’efforts dans mon entreprise pour changer les choses, cela les fait réfléchir au quotidien aussi. Ma famille lyonnaise, par exemple, ils ont trouvé le fleuriste, adhérent de la fleur française de Lyon. C’est chouette.

Quelles sont les actions que tu souhaiterais mettre en place pour aller plus loin dans la protection de la nature ?

Il y a un truc essentiel. Tout est lié. Trouver un système logistique pour m’approvisionner en Bretagne, mais pas que pour moi. Un système local. Ne pas utiliser le grossiste du sud ouest, de l’est. Il doit y avoir un moyen de créer notre système Grand Ouest. D’ailleurs, si je réussis avec La Fabrique Aviva, j’aimerais bien utiliser une partie de l’argent pour développer une solution logistique pour approvisionner la Bretagne. Trouver un moyen de transport pour faire le tour des producteurs et desservir les fleuristes chaque semaine. C’est la régularité qui nous permettra à tous de se développer. Si tu te lances, et que tu ne sais pas si tu auras des fleurs chaque semaine pour créer tes bouquets, c’est compliqué. Moi, c’est ce que j’ai fait, parce que j’ai eu ce grain de folie de dire : j’essaye et je verrais bien. C’est ce projet, le prochain sur ma liste. Comme la saison redémarre, les producteurs auront tous des fleurs, et c’est maintenant qu’il faut le faire. Et puis, à la fin de la saison, on réfléchira à améliorer le système. Là, j’ai pris tous les codes postaux des producteurs, et j’ai démarché des transporteurs pour connaître les prix. Il y a des producteurs qui pourraient se regrouper, dans des rayons de 50 km. Les fleuristes pourraient aussi se regrouper pour venir chercher les fleurs chaque semaine. Il faut créer un système parallèle.

Les pesticides, aspergés, ou dans les réseaux d’irrigation, soit c’est dans l’air, soit c’est dans l’eau. Pesticides, parce qu’ils veulent des tiges identiques en production de masse, et parce que la production est décalée par rapport à la saisonnalité. Par exemple, au Kenya, ou en Equateur, ils font en sorte que les rosiers fleurissent six fois dans l’année. Parce qu’ils ont les bonnes conditions climatiques, et ils utilisent aussi beaucoup d’engrais et de pesticides. Les avions réfrigérés, aussi, parce que c’est un produit frais, et que les fleurs ne supportent pas les longs voyages en containers. La Hollande, je ne connais pas le volume de production mais c’est énorme au niveau mondial, et ce sont des serres chauffées et éclairées jour et nuit, pour produire toute l’année. C’est une consommation d’énergies monstrueuse. Et le dernier impact important, c’est le plastique. Par exemple, tu peux chercher les images de la mort de célébrités comme Diana ou le prince Philip plus récemment : c’est des grilles, des milliers de bouquets de fleurs accrochés avec un emballage plastique. L’emballage plastique des bouquets, et les plastiques utilisés entre les producteurs et les grossistes, et des grossistes aux fleuristes. Tout est dans du plastique. Tu as aussi, l’évènementiel, qui produit beaucoup de plastique. Quand ils font par exemple une arche de fleurs, il y a des rectangles en mousse, c’est du plastique à usage unique. Alors qu’aujourd’hui, il existe d’autres techniques pour éviter ces mousses « No Flower Foam », avec des seaux, des grillages, des pipettes réutilisables, ou des feuillages qui ne s’abiment pas. Il y aussi le système d’accroche : ils accrochent tout avec des colliers en plastique, à usage unique. 

Quelles seraient les premières actions à mettre en place pour tes pairs, si tu avais un conseil à donner ?

Demander des fleurs françaises. Si tu demandes des fleurs françaises, tu crées une demande stable. Cela crée des emplois, et de la stabilité pour les producteurs français. Qui dit qu’il y a assez de fleurs, et assez de demandes sur le marché, dit que le système logistique se mettra en place pour approvisionner tous les maillons de la chaine. Qui dit moins de transport, dit moins besoin de plastique pour protéger, et c’est peut-être possible à nouveau de faire voyager les fleurs dans des seaux d’eau. Le premier geste, pour moi, c’est de demander des fleurs françaises à grande échelle. Tant que les consommateurs ne demandent pas des fleurs françaises à leurs fleuristes, les fleuristes ne vont pas changer leurs pratiques et chercher des producteurs autour d’eux.

Si tu avais un message à faire passer aux autres humains, pour aider la planète, quel serait-il ?

Regarder dans un rayon de 5 km autour de chez soi, tout ce qui se fait. Tout. Le producteur, l’éleveur, le gars qui répare des toits, la personne qui crée des meubles avec des matériaux de récupération comme Marion qui a créé Atelier Ti Wood. Regarder dans un rayon de 5 km tout ce qui existe, avant d’aller chercher sur Internet ou dans la grande ville à deux heures de route. Cela prend un peu plus de temps, de recherche, mais si tout le monde le fait, cela rendra tous les producteurs, les artisans un peu plus visibles. Que ce soit en ville ou à la campagne, cela peut fonctionner.

                                                                                      Propos recueillis par Kristell Labous

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES : CATHY MARION

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